Propos recueillis par Catherine Poitevin – Article du Philonomist. du 14 avril 2020
Mobilisés sur « le front », nos quatre témoins ne sont pas de ceux qui ont pu passer en télétravail avec le confinement. Éducatrice spécialisée, chauffeur routier, banquier et caissière, ils et elles continuent de se rendre sur leur lieu de travail – et, manifestement, de se reconnaître dans des activités pourtant invisibilisées par la société. Nous avons demandé à ces travailleurs de nous raconter leur quotidien au temps de l’épidémie, et au psychologue du travail Yves Clot de commenter leurs témoignages.
« La pandémie est un événement pour le travail. Elle éclaire brusquement sa dimension vitale. C’était une erreur tragique de le considérer comme une valeur en voie de disparition. On constate, en temps de crise, qu’il est la valeur sur laquelle repose quasiment toute la qualité de la vie sociale.
C’est le travail ordinaire qui est valorisé ces jours-ci : celui des agriculteurs, des soignants, des livreurs, des caissières, des éboueurs, du nettoyage… le refoulé pour une société numérique. Par un double paradoxe, ces témoignages montrent que la définition de l’indispensable concerne les métiers habituellement invisibles, qui sont aussi les fonctions les plus concrètes, les gestes les plus matériels, qui engagent le corps, le toucher, la parole en direct, la présence physique, la sueur. Le déni du réel, dans beaucoup de théories du travail, est un déni du corps et, finalement, un déni de l’effort, physique et psychique, qu’il exige.
“C’est le travail ordinaire qui est valorisé ces jours-ci. Le refoulé pour une société numérique”
Pour avoir fait bien des analyses avec ces travailleurs invisibles, j’en retrouve ici les caractéristiques : ils ont pris l’habitude de leur invisibilité, ils se sont forgé une carapace contre elle qui ne les pousse pas, bien au contraire, à négliger la qualité de leur travail. On fait souvent de la reconnaissance une condition du travail bien fait. Ces gens nous prouvent qu’ils ne sont pas mécaniquement corrélés. L’important est de faire quelque chose dans quoi ils se reconnaissent, d’aimer leur travail même si c’est toujours une énigme. Qu’ils obtiennent ces jours-ci un peu de reconnaissance sociale les met dans une situation qui devrait être normale : être utiles et reconnus comme tels. Cependant, ils le disent tous, ils ne sont pas dupes de l’héroïsation. Je ne suis pas plus naïf qu’eux. Au nom de l’urgence, beaucoup de leurs droits ont sauté. Après la crise, les héros d’un jour redeviendront invisibles si l’on n’en profite pas pour élargir sérieusement les classes dirigeantes.
J’aime cette définition du travail du psychologue Henri Wallon (1879-1962) : « travailler c’est contribuer par des services particuliers à l’existence de tous ». Ces témoins en font l’expérience subjective : ils se sentent un maillon essentiel dans une chaîne sociale, ils ne sont pas seulement fixés sur des résultats. Cette expérience a une grande puissance politique. Je ne sais pas ce qu’on en gardera dans le futur – la tragédie est toujours possible et elle est en partie déjà là – mais eux ont vérifié par eux-mêmes que l’existence de tous ne peut appartenir à personne. »
Le témoignage d’Emma, 30 ans, éducatrice spécialisée à Nantes :
« Empêcher que la société craque, tout le monde s’en fiche »
« Mon travail ne peut s’arrêter en aucun cas, et pourtant son utilité est invisible aux yeux de la nation. Je suis éducatrice spécialisée dans un foyer d’adolescents de 13 à 18 ans. Ils ont été placés là par décision judiciaire ou administrative pour être protégés d’un milieu familial anxiogène parfois violent et maltraitant. Dans notre équipe, continuer de travailler ne nous a pas été imposé, c’est allé de soi, sauf pour ceux qui devaient s’occuper de leurs propres enfants à la maison (rien n’a été prévu pour les aider). Mais il a fallu se débrouiller. Nous n’avions pas de gel hydroalcoolique, seulement des gants, une collègue a fabriqué des masques avec sa machine à coudre. Il a surtout fallu adapter des directives incompatibles avec l’éthique et le fonctionnement d’un lieu comme le nôtre. Les premières semaines ont été très tendues, avec des passages à l’acte, des tags, dans un autre centre des tentatives de fugues. Par exemple, comment ménager la relation de ces adolescents avec leurs familles ? C’est l’une de nos missions et, pour eux, c’est un repère très structurant. Tout d’un coup, les week-ends avec leur mère sont suspendus sans que nous puissions leur dire quand ce sera à nouveau possible. Cette absence de perspective fait des ravages sur ces enfants dont l’équilibre est déjà si fragile.
Nous étions devant des choix éthiques difficiles : quel est le plus grand danger pour eux, les laisser confinés avec des familles dysfonctionnelles ou les en séparer pour une durée indéterminée ? Autres problèmes : comment assurer en plus du reste un accompagnement scolaire ? Comment maintenir le lien avec la psychologue et les autres services qui viennent de l’extérieur ? Parfois, par vagues, j’ai peur pour moi mais je préfère assurer ma mission, avancer, que perdre de l’énergie à exiger des masques et du gel.
Le plus difficile pour moi est de me rendre compte que rien, absolument rien, n’a été prévu pour nous permettre d’assurer la continuité du service que nous rendons. Soigner, nourrir, éduquer : les services à l’individu ont été pensés ; empêcher que la société craque, tout le monde s’en fiche. Je me demande sincèrement ce que serait un pays sans les professionnels du social. Les enfants maltraités, les personnes en situation de handicap, et les sans-abris, et les prostituées, et les drogués ? Tout ce monde dont on ne veut pas parler publiquement, que l’on maintient caché, constamment confiné, où seraient-ils, comment feraient-ils si leur lieu d’accueil fermait ?
En attendant, je gagne 1 434 euros net par mois (1 310 euros pour le mois de mars !) après trois années de formation post-bac et je vais travailler tous les jours, avec la même épuisante et impuissante attente que face au virus : jusqu’à quand ça va tenir ? Qu’est-ce qui se passe si ça craque ? Si un enfant est contaminé, ou l’un d’entre nous ? Impossible de fermer l’établissement, impossible de gérer une quarantaine, on ne peut rien faire d’autre qu’espérer que cela n’arrivera pas. »
Le commentaire d’Yves Clot :
« Un dilemme du travail »
« Emma expose très bien ses difficultés éthiques : laisser ces enfants dans leurs familles ou les en séparer pour une durée indéterminée. Quoi qu’elle fasse, la situation fragilise ces enfants, et Emma sait qu’il n’y a pas de bonne solution. C’est ce que, dans notre jargon de chercheurs, on appelle un dilemme du travail. En protestant contre le fait que “rien n’a été prévu” pour l’aider, elle et ses collègues, à faire face à la situation, elle met en lumière un trait essentiel du travail. J’aime le définir comme : là où l’on cherche à tout prévoir et où ça ne se passe jamais comme prévu. Il faut respecter les deux : prévoir et se mesurer à l’imprévu.
“Le dysfonctionnement social est un vrai virus, celui du déni”
Comme beaucoup des salariés qui sont au front, Emma aurait aimé que l’État ait mieux prévu (dispositifs de protection immédiats, garde des enfants etc.), et elle aimerait sans doute aussi qu’on lui laisse plus de liberté pour s’adapter à l’imprévu. Ce qu’elle dit, c’est : laissez-nous faire notre métier. Quant à la non-reconnaissance sociale, elle est double dans le cas des travailleurs sociaux : non-reconnaissance habituelle (elle a raison de donner le montant de son salaire), et non-reconnaissance dans la crise du Covid car ces professions ne font pas parties des rôles indispensables identifiés. Mais Emma dit bien aussi comment “ça tient” malgré cela. Lorsqu’elle se demande “jusqu’où ça va tenir ?”, elle ne parle pas seulement du virus mais de son métier, comme si elle faisait du dysfonctionnement social un vrai virus. C’est le virus du déni, et je suis d’accord que c’en est un. Elle demande alors : est-ce que notre parole va rester inutile après ? »
Le témoignage d’Arnaud, 36 ans, chauffeur routier en Bretagne :
« Je ne suis pas un héros, je fais juste mon boulot »
« J’ai toujours voulu être routier. À 6 ans, j’adorais déjà les camions. En touchant au métier, j’ai aimé en plus la variété, le changement, l’autonomie qu’il donne. C’est dire si, quand le président a annoncé le confinement, j’ai tout de suite su que moi, j’allais continuer à travailler. Je suis salarié dans une petite entreprise de transport de douze salariés en Bretagne. Mes patrons sont d’un naturel optimiste et débrouillard, et l’activité s’est réorganisée très vite sur le transport alimentaire. Deux de mes collègues ont dû rester chez eux à cause de leurs enfants. J’ai repris la tournée de l’un des deux. Du coup, je ne traverse plus la France – ce que je regrette – et je charge exclusivement du frais dans toute la Bretagne (viande, poisson, produits laitiers, volailles) que je transporte dans les entrepôts frigorifiques entre Nantes et Rennes ou sur les bases logistiques des grands groupes qui redistribuent sur toute la France. Je m’ennuie presque, parce que ce sont tous les jours les mêmes tournées. Mais il faut assurer l’indispensable.
La première semaine du confinement, j’étais encore sur les routes en France, je chargeais à Alès et devais livrer le lendemain avant midi à la frontière belge. Toutes les aires sanitaires et les restaurants routiers étaient brusquement fermés. J’ai dû prendre ma douche chez les clients. Aujourd’hui encore, je dois souvent me doucher, manger ou dormir chez les clients. J’ai toujours dans ma cabine un spray désinfectant, des masques, des gants et je vois que maintenant, la prise de conscience est faite aussi chez les clients. On ne se serre plus la main, on se parle de loin, il y a du gel près des machines à café. Cela rafraîchit l’ambiance mais on ne prend pas de risques. À part ça, le confinement, je ne le ressens pas beaucoup, sauf que je peux traverser Rennes à 17 heures avec mon camion sans donner un coup de frein. Les rares automobilistes que je croise sont aussi plus respectueux des routiers. Souvent ils nous disent merci, nous font un petit signe.
Franchement, je ne suis pas un héros, je fais juste mon boulot. J’ai toujours su que je faisais un métier essentiel mais pas plus que les ouvriers dans les usines agroalimentaires, ou qu’une de mes amies qui s’occupe d’enfants autistes, ou que les médecins qui eux, sont bien plus confrontés au virus que moi. Ma sœur et mon beau-frère sont agriculteurs, ils n’ont rien de confinés non plus et ne se prennent pas pour des héros. Autour de moi, tout le monde travaille. »
Le commentaire d’Yves Clot :
« Travailler, c’est être là »
« J’aime cette phrase : “je peux traverser Rennes à 17 heures sans donner un coup de frein”. J’y entends son amour du métier, son plaisir de conduire, et c’est tout le corps qui y est engagé. Un camion ne se conduit pas seulement les mains sur un volant, mais les cuisses sur un siège, les pieds sur des pédales, l’attention aiguisée sur la route et le comportement des autres véhicules. Cette expression de métier est la métaphore de tout son témoignage : le plaisir de conduire un camion est ce qui le tient. J’aimerais que l’on comprenne que ça fait partie de la culture.
“L’héroïsation peut avoir comme effet de faire disparaître le travail ordinaire”
C’est d’ailleurs pourquoi il dit avoir toujours su qu’il faisait un métier essentiel. “Je ne suis pas un héros, je fais mon boulot” : il faudrait le crier sur les toits. Car l’héroïsation du moment peut aussi avoir comme effet de faire disparaître une deuxième fois le travail ordinaire. Arnaud n’est pas un héros, il est au rendez-vous. Les agriculteurs, les travailleurs sociaux, les ouvriers autour de lui, c’est pareil : ils sont là, c’est tout. Et au fond, c’est une belle définition du travail : travailler, c’est être là. »
Le témoignage de Benjamin, 42 ans, directeur d’agence bancaire dans les Hauts-de-Seine :
« Je me sens dans une situation absurde, un peu schizoïde »
« Dans sa stratégie de continuité du service, la direction de ma banque a décidé que mon agence devait rester ouverte tous les matins de la semaine. Je n’ai pas eu à discuter cette décision. Nous nous sommes partagés en deux équipes de cinq personnes qui assurent alternativement le front office (la permanence sur site) et le back office (le télétravail). C’est très important concrètement pour nos clients petits entrepreneurs, et notamment les commerçants, qui peuvent par exemple continuer à faire leurs dépôts. Une des fonctions principales de la banque est de récupérer du dépôt pour pouvoir créer du crédit. Elle est un intermédiaire essentiel pour le fonctionnement de notre système économique. Nous allons devoir faire face à une demande massive de prêts pour permettre aux entreprises de payer leurs salariés. Ils seront garantis par l’État mais il faut bien que les liquidités existent. Ce sont les banques qui vont financer, et je ne crains pas de dire que c’est un rôle magnifique. C’est pourquoi, j’ai vraiment le sentiment d’accomplir le cœur de mon devoir.
Mais je me sens dans une situation absurde, un peu schizoïde. D’un côté le président de la République me dit qu’il est dangereux de sortir de chez moi ; de l’autre, il est, de fait, essentiel que je sorte. D’un côté, j’essaie de rassurer ma femme et ma fille sur les risques sanitaires que je cours et leur fait courir, de l’autre, j’essaie de rassurer mes équipes sur la crise que nous traversons et, dans l’incertitude, de garder le cap. Cette dualité me prend beaucoup d’énergie. Je cherche l’équilibre : je ne veux ni mentir à mes collaborateurs en déniant la gravité de la situation économique, ni les décourager avec des diagnostics de catastrophe. Mais j’ai de la chance : mes collaborateurs sont conscients du rôle important que nous avons à jouer, j’éprouve sans doute moins que d’autres les syndromes d’isolement que provoque de plus en plus le confinement et je me rends à mon bureau à pied. Je me sens très fier et privilégié.
Mais si je songe à mes amis et à ma mère que je ne peux pas serrer dans mes bras, à mes collaborateurs auxquels je ne peux pas parler de trop près, aux passants que j’évite, aux voyages que je ne ferai pas de si tôt, alors je suis infiniment triste. »
Le commentaire d’Yves Clot :
« L’expérience de la matérialité »
« On ne mettrait pas spontanément le banquier sur le même plan que les petites mains de l’ombre. Et pourtant, on retrouve chez lui la même fierté de métier, le même engagement, la même anxiété, aussi. Je note au passage qu’il est en revanche le seul qui n’a pas eu le choix et a dû obtempérer à une décision prise au-dessus de lui. Du coup, lui qui est dans une activité immatérielle – quoi de plus immatériel, aujourd’hui, que l’argent et les transactions financières ? – vit à plein l’expérience de la matérialité.
“Son privilège est de faire son devoir et non pas d’exercer son pouvoir”
Lorsqu’il dit : “je suis fier et privilégié”, il renverse le privilège. Être privilégié, dans son cas, ce n’est pas régner sur l’argent, c’est faire de l’argent réel un moyen permettant aux PME de payer les salaires. Ça, c’est un geste de métier comme de traverser Rennes sans un coup de frein. Le privilège qu’il désigne n’est pas d’être banquier, de diriger douze personnes, d’habiter dans une banlieue résidentielle mais de pouvoir accomplir son devoir vis-à-vis de la société, c’est-à-dire définir la banque du côté de la circulation vitale de l’argent. Son privilège est de faire son devoir et non pas d’exercer son pouvoir. Il parle de son côté schizoïde avec ironie mais bienveillance parce qu’au fond, il comprend que l’on puisse lui demander à la fois de rester chez lui et d’aller dehors. Ce n’est pas facile à vivre pour autant. Psychologiquement, c’est très anxiogène et je suis touché par son écartèlement. »
Le témoignage d’Anne, 61 ans, caissière à Blois :
« Avec la durée du confinement, on sent la nervosité monter »
« Je travaille dans un supermarché bio depuis plus de quatorze ans. Peu de temps avant le début du confinement, j’avais sollicité une retraite progressive et je ne travaille plus que quatorze heures par semaine. Tant mieux car je ne suis pas sûre que j’aurais tenu physiquement avec la tension supplémentaire du confinement. J’habite à 15 kilomètres du magasin, j’ai des horaires variables répartis sur quatre jours par semaine. Mes enfants ne vivant plus à la maison, je prends peu de risques, en tout cas seulement pour moi, et je me sens utile. Nous avons eu le choix de nous retirer (nous sommes quinze salariés) mais moi, je ne me suis pas posé la question. Je suis la première d’habitude à râler sur les conditions de travail, mais là, il n’y a rien à dire : le responsable du magasin a dès le début trouvé, je ne sais pas comment, des masques, des gants, du gel, et même des surblouses. Une vraie vie de labo alimentaire ! Étant engagé sur l’écologie, il est sensible aux questions qui touchent à la santé de la terre et des individus. Il a quand-même fallu prendre l’habitude de respirer là-dessous. C’est épuisant de parler avec un masque, surtout pour moi qui aime le contact avec les gens. Mais je me suis sentie en sécurité. J’ai envoyé une photo de moi dans cet attirail à ma fille pour la rassurer aussi. Il est clair que si l’un d’entre nous est malade, on fermera le magasin, donc nous faisons très attention.
C’est d’ailleurs la seule chose que l’on puisse faire pour résister à l’événement. À la caisse, la tension des clients est palpable mais beaucoup préfèrent venir chez nous parce qu’il y a moins de queue qu’à l’hypermarché juste à côté et que nous sommes mieux protégés. Mais avec la durée du confinement, on sent la nervosité monter. C’est calme mais comme le calme avant la tempête. Je vois aussi les difficultés de réapprovisionnement, par exemple en farine et en œufs – tout le monde occupe les enfants avec des gâteaux à faire à la maison ! Mais on trouve des solutions pour les commandes, les livraisons, on conseille d’essayer la farine de châtaigne ou de sarrasin. En fin de carrière, je vis une expérience inédite et intéressante. »
Le commentaire d’Yves Clot :
« Un supermarché, c’est aussi du soin »
« Bientôt, vous trouverez des experts pour affirmer : s’il y avait eu des robots dans les supermarchés au lieu des vendeurs et des caissières, on aurait tous couru moins de risques. Anne vient nous rappeler justement qu’un supermarché n’est pas qu’un distributeur de nourriture mais des corps et des visages qui participent du soin dans une société qui en a bien besoin. Même derrière un masque, c’est important de rencontrer quelqu’un à la sortie du supermarché. Ce sont tous ces gestes ordinaires que l’on a tendance à trouver sans intérêt et sans valeur lorsque l’on théorise sur le travail. Anne n’a pas envie de travailler n’importe comment, elle est capable, comme elle dit, de “râler”, mais elle est aussi capable de reconnaître quand ça se passe correctement. Elle ne supprime pas le combat pour les plus petits, mais elle est sait où est l’essentiel. C’est une capacité que le syndicalisme devrait cultiver.
“Beaucoup de ces employés se sentent d’autant plus utiles qu’ils ont là l’occasion de donner leur pleine mesure”
Anne, elle aussi, est au rendez-vous : elle est là parce qu’elle doit être là. Je suis frappé qu’elle ait conscience de vivre une expérience inédite et “intéressante”, c’est-à-dire pas seulement négative. Beaucoup de ces employés se sentent d’autant plus utiles qu’ils ont là l’occasion de donner leur pleine mesure : ils prennent des risques pour leur santé physique au nom de leur santé psychique : ce ne sont donc pas des victimes exploitées dont la santé est sacrifiée au nom du commerce. En revanche, il est essentiel que la délibération existe, comme cela a été visiblement le cas dans cette entreprise. Chez Amazon, aucune discussion n’est possible. »
Yves Clot est professeur émérite en psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Il a notamment publié : Travail et pouvoir d’agir (PUF, 2008), Le Travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux (La Découverte, 2010) et Éthique et travail collectif (Éres, à paraître en 2020). Il a également préfacé Agir sur la qualité du travail. Expérience de Renault-Flins, de Jean-Yves Bonnefond (Erès, 2019).
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